Après Domitille qui nous parlait de son rapport au patrimoine en février dernier, c’est à Sylvie que je laisse la parole aujourd’hui. J’aime beaucoup la manière dont elle pose son regard sur les petits détails du quotidien, qui prennent tout leur sens quand on s’y attarde.
Le patrimoine, à première vue, cela semble être quelque chose de figé, immuable. Réservé aux élites, à quelques centre-ville ou châteaux remarquables ayant eu l’insigne honneur d’être élevé au grade suprême de Monument Historique. « A quoi bon regarder la façade de l’église de mon village puisque je l’ai toujours vue là, et qu’elle y restera sans doute encore très longtemps ! Et puis, elle n’a rien de remarquable. » Ou alors : « On m’a toujours dit que mon quartier n’était pas le plus beau de la ville, avec ses pavillons récents alignés et ses squares aux jeux d’enfants peints de couleurs pétaradantes. Aucune raison de s’y intéresser ».
Transformations
Et pourtant ! Tout lieu a son intérêt. Le point de départ est de consentir à le regarder, et de remarquer les changements, ce qui implique une certaine fidélité. Cela peut commencer par des choses minuscules, des détails : « Tiens ! un pissenlit a réussi à pousser dans une fente du goudron du trottoir, c’est impressionnant comme ces plantes sont résilientes. » On pourra remarquer les effets de lumière quand le soir tombe, les projections d’ombres de plus en plus grandes. Quelle poésie de sortir au lever du soleil en hiver, quand les projections rosées animent l’atmosphère d’un doux nuage !
Monet et ses cathédrales
Les différents moments de la journée, ou l’alternance des saisons sont des repères précieux pour se rendre compte que les choses s’animent différemment. Le grand peintre Monet, par exemple, aimait peindre des « séries ». Il s’intéressait à un objet qu’il peignait à différents moments, des dizaines de fois, et chaque peinture était unique. Il avait loué exprès un appartement en face de la cathédrale de Rouen pour attraper les lumières sur la façade, et a ainsi peint 30 portraits de la façade entre 1892 et 1894, selon les conditions : « à midi », « soleil couchant », « temps gris » … Le résultat est une série aux couleurs et aux contrastes extrêmement variés malgré le sujet toujours identique.
Le sens des détails
C’est ainsi que le regard s’affine, et une certaine familiarité s’installe. La statue équestre de la place Bellecour n’est plus un vague bonhomme à cheval, c’est le grand roi Louis XIV auquel la ville de Lyon a voulu rendre hommage. Si la façade de votre petite église de village semble si hétéroclite, c’est parce que le clocher-porche s’est effondré au XVIe siècle et qu’il a fallu tout reconstruire avec les moyens du bord. Et on se prend à remarquer une foule de petits détails auparavant ignorés : ici une petite niche avec une statue très abîmée (Vierge ou Saint ? impossible de distinguer), là un linteau daté (1785… la Révolution s’approchait… brrr).
Aimer son lieu de vie
Et tout se met en lien : la grande histoire et la petite, nous et nos prédécesseurs. Nous habitons un lieu, nous nous mettons à l’aimer car il nous appartient vraiment. C’est cela, pour moi, le sens du patrimoine.